jeudi 19 septembre 2013

Un cœur pour deux

Dans une chambre d’hôpital, une femme d’une quarantaine d’années regarde par la fenêtre. Elle a le regard triste et la mine soucieuse…
- Maman ?
- Oui mon chéri ? Dit-elle en se tournant vers son fils de vingt ans, allongé dans son lit blanc.
- Tu crois au destin ? Dit le jeune homme brun.
- Que veux-tu dire Vona ? Dit-elle en s’asseyant sur le lit.
- Et bien, est-ce tout est déjà écrit, que les dés son déjà pipés au moment où on les lances ?
- Si c’est comme ça que tu le vois, alors non, je ne crois pas au destin. Le futur est une page blanche à écrire, répondit sa mère avec un léger tremblement de voix.
- Encore faut-il qu’on nous les donne ces pages blanches à écrire, murmura-t-il dans sa barbe sans que sa mère entende. Et si tu ne crois pas au destin, reprit-il à voix haute, comment juges-tu ce qui m’arrive à papa et à moi ?
- Comme une injustice de la vie, dit la mère en se tournant vers la pluie battante qui venait cogner le carreau. Elle agit comme un tyran qui n’en fait qu’a sa tête. Elle offre, elle reprend ; elle juge sans procès, condamne selon ses propres lois. Elle est ce fou qui tire au hasard dans la foule, continua-t-elle en battant ses mots avec la pointe de sa langue rageuse.
- Ne lui en veut pas trop Maman, dit le jeune homme doucement. Elle a besoin de la mort pour continuer à vivre. C’est sa nourriture, son pain quotidien.
- Pourquoi dit tu ça ?
- Crois-tu que pour respirer nous n’avons pas besoin de la mort ?
- Ne dis pas de sottises, Vona…
- Que fais-tu des animaux que l’on mange, des arbres que l’on coupe ? La mort est partout dans nos assiettes, dans nos cheminées. Si mon cœur fragile, venait à lâcher, ma mort ne serait que le commencement d’un autre type de vie qui n’est pas moins importante : la vie est un cycle indivisible : l’asticot mange l’homme, l’oiseau mange l’asticot, le chat mange l’oiseau ; le chat meurt et son corps nourrit la terre ; l’herbe, tout juste éclot, est dévorée par le bœuf… Et je te laisse deviner qui mange le bœuf…
- Oui, j’ai compris… Dit la mère en respirant profondément.
- C’est la règle du jeu Maman.
- On croirait entendre ton père… C’est ce qu’il ne cessait de répéter hier soir : C’est la règle du jeu, c’est la règle du jeu…
- Oui c’est la règle du jeu : la mort tisse l’existence des vivants, la fin de l’un, sonne le début de l’autre et on ne peut rien y faire. On peut tout juste espérer que notre encre rempliera les pages d’un bel et volumineux livre, dit le jeune homme avec un léger sourire.
La jeune femme ferma les yeux, gravant sur sa rétine la beauté du visage de son fils, une beauté fragile tenu par un cœur malade.
- Vona… j’entends ce que tu me dis mais, n’oublie pas ce que ton prénom signifie, dit-elle doucement en caressant les longs cheveux ébènes de son fils.
- Oui, espoir… en islandais.
- Vie ou mort, règle du jeu ou non, tu es pour nous un espoir qui un jour, s’est mit à rêver…
- Rassures-toi maman, mes mots n’empêchent pas que milles feux continuent de danser dans mes veines…Vona eut à peine finit sa phrase qu’un médecin rentra en trombe dans la chambre.
- Nous avons un cœur ! Dit-il avec un grand sourire et une voix haletante.
Vona et sa mère revêtirent des masques de statues pendant un instant puis se prirent dans les bras.
- Nous allons l’opérer immédiatement Lucie, dit le médecin à la mère tout vérifiant avec attention les derniers relevés du jeune homme.
- Bien bien, souffla la mère de Vona en lâchant son fils après un dernier baiser. Lucie tourna sur elle-même, le regard perdu puis se reprit en se secouant la tête. Je vais appeler mon mari dit-elle en se précipitant vers son sac à main…
Pendant ce temps-là deux infirmiers vinrent chercher le jeune homme. Une poignée de secondes plus tard, Vona disparaissait dans les couloirs blafards de l’hôpital. N’ayant pu joindre son mari, Lucie se précipita à la suite des infirmiers. Elle suivit le cortège médical dans le labyrinthe des ascenseurs, des étages, des différents services ; elle ne regarda pas les innombrables pancartes qui s’affichaient un peu partout sur les murs mais espéraient qu’au bout des flèches se trouvent inscrit l’aube d’une nouvelle vie pour son fils. Lucie vit disparaître son fils dans une salle ou on lui indiqua de rester à l’extérieur. Quelques minutes plus tard, le médecin vint à sa rencontre tout enfilant ses gants de chirurgiens.
- Lucie, le donneur est parfait : même groupe sanguin, non fumeur etc… Il s’est tiré une balle dans la tête et avait accroché sa carte de donneur sur sa chemise. Le médecin n’eut pas le temps d’aligner le moindre mot supplémentaire, qu’un infirmer vint lui remettre un dossier. Il l’ouvrit et son regard sourcilla.
- Vous vous trompez de dossier jeune homme, dit-il à l’infirmier qui s’en allait déjà. Vous m’avez remis celui du père, poursuivi le médecin en tendant le dossier au soignant qui le regarda d’un air interrogateur. Oui, reprit le médecin, nous allons opérer Vona Frida et vous m’avez donné le dossier de M. Louis Frida, son père ; Ne vous en faites pas, c’est une erreur bien pardonnable, continua le médecin d’un ton conciliant. Son père est soigné chez nous pour des séances de chimiothérapie. Le jeune infirmier fronça les sourcils et fixa tour à tour, Lucie Frida et le médecin.
- Je viens de vous remettre, non pas le dossier du patient, mais celui du donneur, dit-il sans trop comprendre.
Le médecin blêmit et Lucie s’écroula.

Vona fut opéré avec succès et Lucie rentra dans la maison vide trois jours plus tard. En s’allongeant en pleurs sur le lit conjugal, elle découvrit une lettre de son mari sous l’oreiller :


La vie avait dicté son jeu et mon cœur lui a répondu en changeant de je.

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