jeudi 19 septembre 2013

A-t-on le droit de tuer un braqueur ?



A moins que vous soyez un ermite sourd et aveugle, vous avez forcément entendu parler du braquage de la bijouterie de Nice du 13 septembre dernier. Mais vu qu'il n'y a que les ermites sourds et aveugles qui suivent mon blog, voici les faits :  

Peu avant neuf-heures, tout juste avant l'ouverture, des braqueurs attaquent une bijouterie et son gérant. Ce dernier est violemment frappé (à coup de crosse de pistolet semble t-il) et forcé d'ouvrir sa caisse et ses vitrines. Quelques minutes plus tard, les poches pleines d'or, les voleurs repartent à dos de scooter. Ce qui ressemblait jusque là à un braquage ordinaire va se transformer en fait divers de l'année quand le bijoutier tout juste braqué s'empare d'un fusil et se lance à la poursuite des fuyards. Il ouvre le feu à plusieurs reprises et tue l'un de ses agresseurs.

L'un des faits divers de l'année...

Depuis ce mercredi 13 septembre, l'affaire suscite un gros bordel généralisé dans les médias, la classe politique et les réseaux sociaux. Ce qui provoque toute cette polémique, c'est le caractère ambigu de l'assassinat. Dans un cas traditionnel de meurtre, un "méchant" tue "un gentil". Tout le monde est à sa place : la victime dans le tombeau et l'assassin derrière les barreaux. Dans le cas du braquage de Nice, les rôles ne sont pas si clairs... On a un braqueur (ici dans le rôle du méchant) qui agresse et vole un bijoutier (dans le rôle de la victime). Mais voilà que quelques minutes plus tard, la situation s'inverse :  on a le bijoutier  (ici dans le rôle de l'agresseur) qui tue le braqueur (maintenant dans le rôle de la victime). C'est ce chassé-croisé des rôles qui fait jaser l’opinion. Il est d'ailleurs très problématique pour la justice : en effet, dans le droit, on ne peut tuer une personne que si cette personne menace directement notre vie ou celle d'un tiers. Cela s’appelle la légitime défense.

Légitime défense ?

Dans l'affaire qui nous intéresse, la justice a décidé d'ouvrir une information judiciaire à l'encontre du bijoutier pour "Homicide volontaire". Elle ne retient pas la légitime défense. Et pour cause : Le bijoutier a tué dans un moment où sa vie n'était plus directement menacée. Pis encore, le jeune homme a été tué d'une balle dans le dos, ce qui vient prouver qu'au moment de sa mort il n'était plus une menace. Ceci dit, personne ne pourra prétendre que le bijoutier, victime du casse quelques secondes plus tôt, était dans un état normal au moment de ses coups de feu. 

La récupération politique


Quand il y a de la charogne, les vautours ne sont jamais loin... Les politiques non plus ! Ces derniers n'ont pas hésité à se servir de ce drame pour faire parler d'eux et gagner quelques points dans les sondages ! (Tous partis confondus !) Pour l'opposition, c'est bien sûr la faute du gouvernement qui est laxiste. Et pour le gouvernement, l'opposition est irresponsable et s'applique à monter les uns contre les autres. Bref, les politique nous ont une nouvelle fois offert un spectacle pathétique. Le maire de Nice a même déclaré sur une chaîne bien connue que le gouvernement était du côté des malfrats et des délinquants ! (Comment le cadre d'un parti démocratique peut-il dire ça ?) Au-delà de l'imposture intellectuelle et démagogique, ce fait divers a clairement montré les différences idéologiques entre la gauche et la droite.  

Deux camps s'opposent
  
Depuis cette histoire, la France est coupée en deux. Ceux qui disent que le bijoutier de Nice ne doit pas être poursuivi et ceux qui disent le contraire. Pour les premiers, le braqueur "n'a que ce qu'il mérite". C'est lui qui la cherché. Voici leurs principaux arguments : 
- Le braqueur est à l'origine de sa propre mort : s'il n'avait pas braqué, il ne serait pas mort. (Monsieur, c'est lui qui a commencé !)
- Tout homme a le droit de se défendre et doit pouvoir le faire avant d'être mort : le fait que le bijoutier ait prit des coups et qu'on ait menacé sa vie (quelques minutes avant son tir) vaudrait pour une sorte de légitime défense indirecte. 
-  La justice doit protéger les honnêtes gens et pas les délinquants. (Dans l'histoire, le bijoutier avait un casier vierge, et l'autre 14 condamnations). 

Pour ceux de l'autre de camps, les arguments sont assez simples :
- La loi doit s'imposer étant donné que l'on est pas dans un cas de légitime défense. 
- Pourquoi ne pas les avoir laissé partir quand les braqueurs se sont enfuis ?
- Quelques bijoux, quelques coups et quelques menaces valaient-ils la vie d'un homme ? 

Que penser dans tout ça ?  
    
Ce qui est sûr, c'est que cette histoire a fait couler beaucoup d'encre. On a entendu tout et n'importe quoi. Mais surtout n'importe quoi d'ailleurs, dont la palme d'or revient à ceux (les bourdes des politiques étant hors concours...) qui ont monté un collectif sur facebook pour soutenir le bijoutier (qui malgré les circonstances, a quand même tué un homme !) et tout ceux qui en ont profité, comme à chaque fois, pour déverser toute leur haine de l'humanité : "C'est bien fait pour le braqueur !" "On n'est plus en sécurité" "On n'est plus chez nous, on doit se défendre..." "C'est le délinquant qui est mort donc..." "C'est celui qui travaille tous les jours d'arrache-pied, qui en plus se fait agresser, qui se défend, que la justice va condamner ? C'est une honte !" "Le gentil s'est défendu et c'est le méchant qui est mort ! What esle ?" etc. Le problème c'est que dans cette histoire, le gentil, l'honnête travailleur, l'agressé... a tué ! Les conséquences de cette rhétorique de soutien en faveur du bijoutier risque d'aboutir à la minimisation de l'acte en lui-même : tirer sur un autre homme de dos, mais aussi "tuer" dans son sens le plus général. La justice ne peut pas se permettre de ne pas condamner un tel acte. Dans le cas contraire, c'est une incitation massive à l'auto-défense armée, et, bien entendu (les américains en savent quelque chose...), à une escalade meurtrière entre braqueurs et braqués.  Si les uns savent qu'ils ne seront pas condamnés en dehors de la légitime défense, c'est une porte ouverte à la vengeance et à ses cercles vicieux. A contrario, si les braqueurs savent que les commerçants s'arment et sont prompt à tirer sans être inquiétés par la justice, ils seront d'autant plus violent et useront de leur arme au moindre geste qui leur semblera suspect. Si certains croient que les braqueurs feront moins de casses en sachant les commerçants armés, ils se trompent ! Allons, un peu de sérieux : on ne devient pas braqueur de bijoux par vocation ! On ne risque pas sa vie par plaisir mais bien souvent, par nécessité. A l'inverse, braquer un bijoutier ne doit pas être minimisé (les peines sont d'ailleurs assez lourdes dans ce domaine...) et il ne faudrait pas oublier que les bijoutiers font un métier particulièrement dangereux qu'il faudrait d'avantage sécuriser.

Nous sommes dans un état de droit. Le "Œil pour œil" et "le dent pour dent" est un adage moyenâgeux et la société française ne doit pas oublier ses principes humanistes. Elle ne doit pas tomber dans la psychose généralisée dans laquelle nous plongent les médias pour un simple fait divers dramatique. A tout ceux qui ont peur de se faire agresser, bien sûr ça arrive. N'oubliez pas pour autant que c'est extrêmement rare au vu du nombre total de la population. (Vous avez bien plus de chance d'avoir des dégâts physiques suite à un accident de voiture que des suites d'une rencontre avec un malfrat !)

L'escargot. 

2 commentaires:

  1. Je viens moi-même de rédiger un post sur le même sujet, les grands esprits se rencontrent ;)
    Je suis tout à fait d'accord avec votre analyse pertinente ! Je crois que le véritable souci est que le fait divers fut repris à des fins électorales / politiques d'une part, et que les gens... regardent trop la tv d'autre part.
    On vit dans une société individualiste qui part du principe que c'est chacun pour soi et donc se défendre soi-même équivaut à défendre son bien puisqu'on ne fait plus la distinction entre l'être humain et ses possessions.
    Pour moi, seule la justice peut trancher (et ce sera long et dur, je plains le juge). Les risques sont multiples comme vous le précisez : un précédent risque d'être créé. Ou bien ça autorise les braqueurs à faire ce qu'ils veulent, ou bien ça autorise le citoyen lambda à jouer les justiciers. Pour ma part, je serais plutôt partisane d'appliquer la loi : non, ce n'est pas de la légitime défense. Un homme qui sort armé de chez lui a nécessairement une idée derrière la tête. Circonstances atténuantes par rapport au drame psychologique vécu ? oui, certes, mais si toutes les victimes de crimes se mettent à tirer... on n'a pas fini de voir nos rues ensanglantées !

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    1. Bonjour Audrey !

      Je viens de lire votre article et effectivement, ils sont très proches.
      Comme vous, je penses que seule la justice peut trancher.
      Après, que ceux qui soutiennent le bijoutier se rassurent : dans ce genre d'affaires, la justice prononce des peines très allégées, voir juste de la prison avec sursis. Après, est-ce que c'est normal ou non... je ne sais pas. Ce qui est sur, c'est qu'un non-lieu serait la porte ouverte à beaucoup de choses... Et la famille de la victime ne serait pas entendu. Il ne faut pas oublier qu'au delà du braqueur, se trouve un jeune homme, un frère, un fils, un être humain.

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