lundi 9 septembre 2013

La trahison des images


Tout le monde connait, même le plus inculte d'entre nous, le célèbre tableau ci-dessus peint par Magritte en 1929. Du moins, tout le monde connait la célèbre expression : "Ceci n'est pas..." que le tableau du peintre belge a fait entrer dans le langage courant. En effet, chacun d'entre vous a déjà entendu au moins une fois dans sa vie un petit rigolo lui dire : "Ceci n'est pas un objet" et ce, en vous montrant l'objet susnommé. Cette petite mode du "Ceci n'est pas..." a même fleuri sur les vitres de certaines voitures !


    

Même les apprentis peintres s'y sont mis et Google regorge d'images comme celles ci-dessous : (Tous les parfums existent ! Il y en a vraiment pour tous les goûts !)

    

 Mais ça ne s’arrête pas là, la phrase peinte par Magritte a investi à peu près tous les domaines possibles et imaginables !

La politique :


















La musique, le cinéma :




















Les objets marchands, le marketing :
                  

Bref, vous l'aurez compris, le monde entier s'est approprié et s’approprie encore l'idée du grand peintre.

Mais est-ce que tout le monde comprend vraiment ce que voulait dire Magritte ? Quelle était l'idée primaire de ce tableau ? 

Comme beaucoup, j'ai remarqué au cours de ma vie que l'habitude, la routine, vide les choses de leur substance. Le meilleur des exemples est bien sur l'amour entre deux personnes qui se refroidit au contact de l'habitude, se vide de sens et finit par disparaître. Dans le langage et les expressions courantes, c'est la même chose. A force d'être prononcées par habitude et nonchalance, leur but premier est oublié. Qui sait aujourd'hui d'où vient l'expression "A la queu leu leu", être "Soupe-au-lait", ou encore, "Un miroir aux alouettes" ? (Réponses en fin d'article !) Cela ne vous arrive-t-il pas d'ailleurs de comprendre tout à coup des expressions que vous répétez depuis dix-ans ? (A ce propos, j'ai mis beaucoup d'année à m’apercevoir que passer du coq-à-l'âne faisait référence aux deux animaux de différentes tailles pour expliquer l'écart subit entre deux sujets. Avant de le comprendre, mon esprit l'écrivait passer du cokalane.) Ainsi, toutes ces expressions ont un sens profond, qui ne vient pas de nulle part mais que, par habitude, nous répétons comme des perroquets sans véritablement comprendre. Egalement, nous le faisons avec les figures de style que nous employons sans même nous en rendre compte... Qui se souvient que, quand un professeur dit "J'ai une classe bruyante" il utilise une métaphore. (Et oui, en elle-même, la phrase ne veut rien dire : une classe ne peut en aucun cas faire du bruit de son propre chef...).  Bref, tout ça pour vous dire que l'habitude détruit le sens et l'origine des choses qui, vidées de leurs racines, ne sont plus que plantes sèches et coquilles vides. Littéralement, nous perdons de vue ces dites choses. Il convient donc (si vous ne voulez pas perdre votre femme ou votre français) de toujours vous interroger sur l'origine des mots, des expressions et d'entretenir le feu de votre esprit devant les évidences quotidiennes.

Pour en revenir à Magritte, je pense que la phrase de son tableau est tellement rentrée dans le langage courant que rares sont ceux qui savent encore ce qu'elle veut dire. Car oui, elle veut bien dire quelque chose dans le sens où elle essaye de transmettre une idée, une observation. Il est clair qu'en apparence, ce n'est pas si évident : il peint une pipe et écrit dessous "Ceci n'est pas une pipe". Que comprendre donc ? Qu'il se fout de nous ? Qu'il nous prend pour des demeurés ? Qu'il est tellement connu qu'il sait les gens assez idiots pour acheter sa toile ? Rien de tout ça et ceux qui croiraient que c'est juste "pour rire" ou que c'est simplement "absurde", font fausse route. Dans le domaine de l'art, chez tout artiste qui se respecte (nous y reviendrons dans un autre article) faire de l'absurde pour faire de l'absurde, ça n'existe pas. Ce que souligne Magritte dans son tableau est donc en réalité aussi simple qu'intelligent : Car oui, sa phrase est vraie : ce que nous voyons n'est pas une pipe. Il ne s'agit ni plus ni moins que de la représentation d'une pipe. La représentation d'un objet n'est pas l'objet ! Si dans le monde du langage, les images sont les pendants des mots, les couleurs les pendants des lettres, vous conviendrez que le mot "chien" n'est pas un chien autant que l'image d'une pipe, n'est pas une pipe. Et effectivement, il vous sera impossible de mettre du tabac dans la pipe de Magritte, (autant qu'il vous sera impossible d'entendre aboyer le mot chien...) de sentir son odeur, de l'attraper avec vos doigts. Et si d'aventure vous y mettiez le feu pour la fumer, c'est au musée que vous foutriez le feu et non à du tabac ! L'image de pipe que vous voyez n'est ni plus ni moins qu'un peu de pigment sur une toile. Des morceaux de couleurs mis bout à bout et qui donnent l'illusion d'une pipe.

L'oeuvre de l'artiste pourrait alors paraître sans grand intérêt. On pourrait même se dire  : tout ça pour ça ? L'intelligence de l'artiste est en réalité bien plus complexe. Dans son tableau, deux signes renvoient à la pipe, cet objet réel qui sert à fumer du tabac. Le mot "pipe" et l'image de la pipe. La différence majeure entre les deux c'est que le mot pipe ne ressemble pas l'objet qu'il désigne; l'image de la pipe, oui. Ils ne sont pourtant tous les deux (autant le mot que l'image) qu'un peu de peinture sur de la toile ! Là est pour Magritte le côté pervers de l'image réaliste qui ressemble à ce à quoi elle fait référence dans le réel. Comme une coquille vide. Comme si elle se prenait pour ce qu'elle n'était pas. Et celui qui se prend pour ce qu'il n'est pas, c'est un menteur, un mythomane ; en somme, c'est quelqu'un de faux. En écrivant sous son image de "Pipe" "Ceci n'est pas une Pipe", Magritte rappelle au spectateur l'imposture de l'image qui se voudrait réaliste. C'est ce que le peintre Belge appelle la Trahison des images et qui n'est ni plus ni moins que le titre son tableau.

La réflexion du peintre, véritable génie intellectuel de son temps, ne s'arrête pas là. Ce qu'il souhaite avant tout c'est que la peinture, en tant qu'art, s’affranchisse de son devoir de représentation du réel.  En effet, depuis de longs siècles, la peinture n'a cessé de vouloir représenter les objets du réel. Les représenter de façon toujours plus réaliste, toujours plus convaincante, avec toujours plus de détails, de mouvements, de textures, de relief... Mais au final à quoi bon ? A quoi bon représenter un arbre, une fleur, un oiseau ? A quoi bon les représenter de façon réalistes puisqu'il nous suffit d'aller dans la forêt voisine pour les voir ! Pourquoi payer l'entrée d'un musée pour aller voir la copie de ce que l'on peut apprécier gratuitement ; de ce que l'on peut en plus, toucher, sentir, goûter et voir se mouvoir ? Magritte pose donc plusieurs questions intéressantes avec son tableau : Quel est le rôle de la peinture et qu'est-ce qui nous attire dans la peinture ? Autrement posée : la peinture doit-elle être une simple copie du monde réel ? Ne peut-elle pas faire plus ? Et l'artiste peintre, n'est-il qu'un "Bon coup de crayon" ? N'est-il qu'un "photocopieur" ? La réponse de Magritte est bien sûr la suivante : la peinture ne doit pas copier ni recopier : elle doit créer. Sinon, à quoi bon. Autant poser un chevalet devant une fenêtre et appeler ça une peinture. Voici une toile de Magritte qui illustre parfaitement son propos et sa démarche intellectuelle :


Ce tableau nommé La condition Humaine et peint en 1935 appelle les esprits à réfléchir sur la peinture et à la faire sortir de sa condition traditionnelle de représentation. Pour Magritte, la peinture doit être un monde à part et un monde à part-entière. Un monde qui prend ses distances avec le monde réel et ses aspects sensibles. Elle doit dépasser le  réel. Le tordre, l'arranger, le modifier. Le peintre doit composer avec les qualités propres à la peintures (couleurs, textures, formes, cadre) et détourner les images réalistes a des fins lyriques et réflexives. Le spectateur doit rencontrer dans la peinture ce qu'il ne peut pas trouver en dehors d'elle-même et l'artiste ne doit pas se contenter d'être une main relié à un œil. La peinture doit être lieu de surprise, espace de jeu et de poésie. Elle doit nous éloigner du réel sensible que nous voyons tous les jours et ce, tout en utilisant ces mêmes éléments. Des éléments qu'il faut mélangés afin de créer différents effets susceptible de toucher le spectateur. En témoigne quelques tableaux du maître :




Magritte n'est pas un cas à part dans le champs de l'histoire de l'art. Le peintre participe à un élan intellectuel commencé à la fin du XIXe siècle qui questionne les modes de représentations de la peinture. Chacun de ces artistes, à leur manière, essaieront de faire changer d'axe l'esthétique pictural. En somme, tous essaierons de l’affranchir de sa dépendance au réel de façon originale. Picasso, Braque, Duchamp, Modigliani, Gauguin, Matisse, Pollock, Klimt, etc. participeront également à cet élan qui aboutira petit à petit à la peinture abstraite.  

Une brève conclusion pour cet article : la nécessité de s'interroger devant ce qui nous parait évident et habituel. Les œuvres, les expressions... ne sont pas là par hasard. Elles découlent pour la plupart de réflexions longues et profondes qui font avancer la compréhension de l'homme sur l'homme et la vision de l'homme sur son environnement. Méfiez-vous des fanatiques "de l'absurde" qui utilisent le mot à tord et à travers pour remplir les vides de leur savoir. Dire "C'est absurde" est le réflexe de toute personne qui ne comprends pas. Les grands artistes, que le temps nous permet de nommer ainsi, ne sont pas des dealers de sottises. Ils font partie de l'élite intellectuelle et contrairement aux apparences (même chez les surréalistes et les peintres abstraits...) ce qu'ils créent sont souvent très lumineux pour qui sait se creuser un peu les méninges. Donc oui, même Duchamp (Celui qui a volé un urinoir et qui l'a baptisé "fontaine" en en faisant une oeuvre) était un génie. Mais ça, je vous en parlerais dans un prochain article !

L'escargot

Comme promis, les explications des différentes expressions (source : http://www.expressio.fr) :

A la queue leu leu : (se mettre les uns derrières les autres)Après le XIe siècle, en ancien français, la syntaxe était très différente de celle d'aujourd'hui. On pouvait s'y passer d'article, écrire un complément de nom sans préposition ou rejeter le verbe en fin de proposition. Ainsi le nom du village de Bourg-la-Reine n'avait rien à voir avec les frasques sexuelles du roi, comme aurait dit Coluche, mais signifiait simplement "(le) bourg (de) la reine""à la queue leu leu" était un raccourci de "à la queue (du) leu (le) leu" ou, en moins compact encore, "c'est à la queue d'un leu qu'on trouve un autre leu". Quand on sait que :
  • leu est l'ancien nom du loup,
  • que les petites bandes de loups avaient pour habitude, paraît-il, de se déplacer les uns derrière les autres, donc chaque loup derrière la queue du congénère qui le précédait,
  • et que le loup comme le renard était très présent dans l'imaginaire des gens de l'époque,
On comprend que cette expression soit apparue pour désigner une file indienne, bien avant que l'Amérique et les indiens soient découverts. 
Le miroir aux alouettes : (piège, leurre, trompeur) Cette expression vient tout simplement d'un type de piège qu'utilisaient autrefois les chasseurs pour attirer certains oiseaux, dont les alouettes. Composé de morceaux de bois garnis de miroirs, ce piège, lorsqu'il était agité, provoquait des reflets brillants qui attiraient les oiseaux que les chasseurs n'avaient plus alors qu'à capturer au filet ou à abattre au fusil.
Être soupe au lait : (être lunatique) :  Expression issue au XIXe siècle de la locution monter comme une soupe au lait.
Il suffit d'avoir expérimenté une seule fois le comportement du lait (ou de la soupe au lait) lorsqu'il se met brutalement à bouillir pour comprendre cette association avec une personne dont l'humeur change très brutalement, aussi vite que le lait redescend dès qu'on le sort du feu.

1 commentaire:

  1. Bonjour , article intéressant sur Magritte , je viens de m'abonner à ce blog mais est-il encore en activité ??? A bientôt et bonne journée .
    Walter

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