lundi 16 septembre 2013

Réflexions sur la main - partie 1




Jean-Baptiste Huynh - Main II

Dans le dictionnaire de L'Académie française de 1762 le langage, du latin lingua (langue) est défini comme une : « Manière de parler d'une Nation », mais aussi comme « Discours, style, & manière de parler » ou encore comme « La manière de parler de quelque chose, eu égard au sens plutôt qu'aux mots ou à la diction. » et enfin «De tout ce qui sert à faire connoître la pensée sans parler.» 1 On pourrait, de manière générale, synthétiser le langage comme un ensemble de signes (gestuels, vocaux…) qui permettent à un individu de rentrer en communication avec au moins, une tierce personne. Celle-ci, peut être verbale ou non-verbale ; c'est-à-dire avec l’utilisation ou non de mots. Le langage s’établit dans un système plus ou moins structuré, indispensable à la compréhension par le sujet avec qui s’établit la communication. 

Il s’est avéré très vite au cours de mes différentes recherches que la main de l’homme est une véritable créatrice de langage. Elle est à l’origine des médiums qui existent en dehors de la voix, telle l’écriture, la peinture ou la sculpture par exemple. La communication qui passe par la main peut aussi s’effectuer de manière directe comme peut le faire la voix, que ce soit en sa compagnie ou en son absence. Comme on reconnaît le son de la voix (qu’on connaisse la langue ou non) on reconnaît le son de deux mains qui s’entrechoquent. L’applaudissement par exemple, qui vise à communiquer l’admiration est couramment utilisé depuis l’antiquité dans notre société occidentale. Son bruit est directement reconnaissable et il se module en intensité, en rythme, (en cadence de diction pourrait-on dire ?) afin de communiquer un sens variable comme une voix qui murmure ou crie afin d’exprimer la douceur ou la colère, la peur ou la joie etc. Il est d’ailleurs intéressant de voir que dans la vie de tous les jours, quand quelqu’un ne nous entend pas ou le feint, notre premier réflexe est de taper dans nos mains pour attirer son attention (ou de faire un claquement de doigts), d’agiter notre main devant ses yeux et en dernier recours, d’aller le toucher pour lui signifier notre présence. A travers cet exemple, il apparaîtrait que la main de l’homme prend le relais de la communication en l’absence ou dans l’impossibilité de la voix. On peut le vérifier par d’autres : un homme politique demande le silence avec ses mains quand les bruits de la foule couvrent sa voix ; dans les théâtres romains, comme l’empereur ne peut être entendu de par les clameurs ou de par la grandeur du stade, il utilise un langage visuel avec le spectateur ; les golden boys dans la cohue générale de la bourse de New York utilisent la gestuelle des mains pour communiquer entre eux. L’absence ou l’impossibilité de la voix, est donc la chance de la main. 

On peut même ajouter qu’en l’absence ou dans l’impossibilité de la voix, c’est la capacité visuelle de la main qui est utilisée. D’ailleurs, ceci est tout de suite perceptible quand on envisage la communication des sourds et des muets. Ils n’ont pour se comprendre, que la langue des signes qui est un ensemble de gestes mimétiques. Celle-ci s’organise de manière visuelle et/ou avec le sens du toucher. On peut étendre l’analyse à ceux qui ne parlent pas la même langue et dont le premier réflexe est de recourir à la main, à une sorte de langage des signes improvisé. Si on veut encore aller un peu plus loin, on s’apercevra que ceux qui ne peuvent pas « s’entendre » sur un sujet utiliseront la gestuelle des mains de façon prépondérante. 

La main nous renvoie aussi aux sources de l’homme où avant, la parole (ou tout autre langage verbal) s’effectuait probablement par la main et des bruits vocaux. La main de l’homme est aussi restée pendant longtemps, l’unique moyen, l’unique instrument, l’unique outil de communication entre deux époques différentes; Autrement dit, le membre qu’est la main, est cet intermédiaire qui permet de relier deux personnes ne vivant pas au même siècle. Deux personnes qui par définition ne peuvent pas s’entendre ni même entrer en communication de manière visuelle ou haptique. La main de l’homme permet le legs, la transmission de la connaissance, du monde, de sa propre culture et même d’un soi. On en revient –pour ne citer qu’elles– à l’écriture, à la peinture, à la sculpture et même à la musique, qui dans des temps ultérieurs avaient besoin de cet instrument qu’est la main pour atteindre la postérité d’autres époques. Dans cette manière qu’elle a de berner les temps, d’offrir au(x) présent(s) une voix du ou des passé(s), intermédiaire des temps, elle devient intermédiaire de l’esprit de l’homme ; elle n’organise plus le langage de manière directe et la présence de l’esprit au détriment de l’instinct, la fait devenir main-outil, voix-relais, voix-visuelle d’un esprit désormais muet. (Avant la naissance de l’enregistrement, même la musique se transmettait par des signes visuels faits par la main…) Malgré qu’elle ait toujours besoin du cerveau pour s’exprimer, elle n’est jamais la simple exécutante de l’esprit quand celui-ci s’exprime à travers elle :

 « La main n’est pas la serve docile de l’esprit, elle cherche, elle s’ingénie pour lui, elle chemine à travers toutes sortes d’aventures, elle tente sa chance. »2 

La main de l’homme est une créatrice de langage qui vise à faire interagir au moins deux sujets (ou le sujet avec lui-même) et qui utilise au moins trois sens (le toucher, la vue et l’ouïe) là où la voix n’en utilise qu’un (l’ouïe) là où le regard ou la vue, n’utilise que la vue. Cette faculté polyvalente, adaptable et modulable (qui la définit en soi) permet à la main d’être à la source d’un langage que Marcel Brion appelle « la langue universelle » 3 de l’homme. Nous ne disons pas que tout ce que peut faire la main de l’homme porte un sens identique dans les cultures existantes et ayant existé ; nous disons simplement qu’elle est un instrument qui –comme la voix– permet, de façon universelle, de produire du langage humain. Contrairement à la voix, elle est un membre emprunt d’humanité. De par ses fonctions, de par son outillage et de par sa complicité avec l’esprit, elle est un membre unique dans l’histoire du cheminement humain. 



Sources : 

1 - CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) Dictionnaire de l'Académie française, 4th Edition (1762) http://www.cnrtl.fr/ entrée : « Langage » 
2 - FOCILLON, Henri, Vie des formes suivi de l’éloge de la main, p.124
3 - BRION Michel, les mains dans la peinture, p.120

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