mardi 17 septembre 2013

Réflexions sur la main - partie 2


George De La Fuly

La main vient du latin Manus qui aurait autrefois désigné l’homme et pourrait être à l’origine de la construction du mot latin humanitas 4 (l’humanité). En Français –langue d’origine latine– le suffixe d’humain est « main ».  Il apparaît tout de suite évident, que du point de vue du nom, la main est indissociable de l’Homme. La question que l’on peut légitimement se poser est : pourquoi de telles proximités étymologiques existent entre l’Homme et sa patte ? Pourquoi cet organe –et pas un autre ?– fait-il partie intégrante de la construction de son étymologie ? 

« L’homme a fait la main, je veux dire qu’il l’a libérée d’une antique et naturelle servitude, mais la main a fait l’homme ».5 dit Henri Focillon. Il entend par là que la main est à l’origine de ce qu’il appelle le véritable basculement et « peut-être le plus grand de l’histoire de l’humanité… » 6  quand « En prenant dans sa main quelques déchets du monde, l’homme a pu inventer un autre qui est tout de lui.» 7  Autrement dit, quand l’homme a cessé de subir la nature mais qu’il a façonné ce qu’elle lui a donné, il a pu bâtir un autre monde et par là même occasion, changer le cours de son histoire. L’homme a construit son destin quand grâce à elle, il a pu fabriquer son premier outil. A cet instant précis « il a cessé d’être agi par des forces inconnues pour agir par ses forces propres. » 8 Il a su modifier la matière qui l’entourait et l’utiliser à son avantage. La main a cette capacité, de par sa construction ligamentaire complexe, de pouvoir moduler à sa guise n’importe quelle substance en objet usuel. Elle est cet organe de la création, la source du passage de la matière « inerte » à la matière « active ». Elle est l’instrument de cette transformation, de cette métamorphose. A travers sa main, l’homme communique à la matière des formes de l’esprit et en retour, l’esprit s’informe par cette main. Elle donne à des surfaces, une identité humaine. Ainsi grâce à sa main, l’homme a pu « habiter » un autre monde, celui du toucher. Ces capacités que l’homme a acquises grâce à sa main, en ont fait une espèce à part dans les chaînons cycliques de la nature. Mais que ce soit sa patte –devenue main– qui, lui faisant découvrir un nouvel univers tactile capable de créer, ait façonné son esprit, ou bien, que ce soit son esprit qui ait donné de l’intelligence à cette main, ceci ne change en rien la donne. Grâce à la main, cet « esprit-corps » ou « outil de l’esprit », l’homme s’est extrait du bloc monolithique où il était prisonnier depuis  de nombreux millénaires. Le corps et l’esprit dégagés, il a pu envisager de nouvelles perspectives, de nouvelles conceptions, de nouvelles façons d’entrevoir l’existence. 


La nouvelle conscience de ses objets auxquels l’homme a su communiquer la vie, auxquels il a du s’identifier et grâce auxquels il a su s’extraire de la nature et trouvé une identité, l’ont mené à créer quelque chose de nouveau. Il n’était plus question d’une invention fonctionnelle, matériellement tournée vers la survie mais d’une création tournée vers une dimension immatérielle, non plus existentielle, mais « existentialiste ». Cette « chose » était en fait un nouveau langage non plus strictement usuel, strictement essentiel mais extra substantiel, extra ordinaire pourrait-on dire. Ce néo langage inventé par l’homme était la tentative d’un regard, d’un ressenti posé sur un monde qui l’entourait. Consciemment ou inconsciemment, cette création, ce geste était voué à traverser les temps et à devenir « extra-organique. » Il s’établissait dans tous les sens du terme, à dépasser la « survie », à devenir un « au delà de la vie ». Cette création, c’est ce que nous, appelons l’« Art ». Ce geste, l’Art, simple en apparence, est une véritable synthèse de tous ces chemins que l’homme avait pris jusqu'à lui; de tous ceux qui parviendraient jusqu'à nous. Encore une fois, c’est l’esprit et la main qui avançant pas à pas et main dans la main, sont à l’origine de cette avancée. Au confluent de cette nouvelle dimension humaine, c’est la main qui faisait, elle, cet organe de création qu’un jour des hommes ont plaquée sur la pierre des grottes pour en laisser trace. A travers cette empreinte laissée, la main était célébrée en tant que main-outil ; en négatif sur ce mur, elle devenait pourtant autre chose. L’homme, l’espèce elle-même, devenait autre chose : La main c’était l’homme et comme la boucle que l’on ferme, l’homme avait trouvé son symbole, son porte drapeau : la main. Ce qui nous tourmente et à la fois nous conforte dans une certaine approche de cette étude, c’est de voir que des hommes ont, en des époques éloignées, en des latitudes isolées, éprouvé le désir de plaquer leurs mains contre les murs et d’en tracer ses contours. 

 « Les mains négatives, c'est-à-dire faites selon la technique du pochoir semblent faire partie du stock culturel commun à l'ensemble des communautés archaïques des mondes anciens, puisqu'on les rencontre quasiment partout. » 9


Cueva de las Manos, Río Pinturas, en Patagonie argentine, province de Santa Cruz. L'art le plus ancien d'Amérique du Sud (7 300 av. J.-C.)

Quelle attitude étrange et troublante que de vouloir laisser à la postérité, une marque si anonyme, si semblable entre toutes ? Etait-ce parce qu’elle était la première à portée de souffle, parce qu’elle était semblable à un visage ? Etait-ce la prise de conscience que cet instrument articulé au bout du poignet les avait menés vers une nouvelle vision du monde, qu’elle les avait façonnés d’une autre manière ? Ce qui est sûr c’est que la main avait une place unique à l’intérieur du corps et de l’esprit de l’homme. La main est donc susceptible, partout où elle se trouve, partout où on la voit, d’avoir une place particulière au sein d’un corps et d’une pensée. Cette connivence –cette histoire commune– entre l’Homme et la main a fait naître ce langage complexe et de lui, est né un ensemble de rapports menant de l’un à l’autre : « Un art dont elles seraient totalement bannies, resplendiraient, d’inhumanité. » 10 



Sources : 

4 - CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) : http://www.cnrtl.fr/ entrée : « manus » & « humanitas »
5 - FOCILLON, Henri, Vie des formes suivi de l’éloge de la main, p.107
6 - FOCILLON, Henri, Vie des formes suivi de l’éloge de la main, p.111
7 - FOCILLON, Henri, Vie des formes suivi de l’éloge de la main, p.110
8 - FOCILLON, Henri, Vie des formes suivi de l’éloge de la main, p.111
9 - D’après l’ethno-archéologue CHAZINE, Jean-Michel, dossier le mystère des mains de Bornéo : http://www.futura-sciences.com/fr/
10 - FOCILLON, Henri, Vie des formes suivi de l’éloge de la main, p.118



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Je vous invite à réagir à ce billet, en indiquant vos coordonnées virtuelles ou en choisissant le mode "anonyme". Veillez cependant à rédiger votre message dans un français correct et à respecter les règles élémentaires de respect et de politesse. Je me réserve le droit de modérer tout commentaire injurieux.