Dans une chambre
d’hôpital, une femme d’une quarantaine d’années regarde par
la fenêtre. Elle a le regard triste et la mine soucieuse…
- Maman ?
- Oui mon chéri ?
Dit-elle
en se tournant vers son fils de vingt ans, allongé dans son lit
blanc.
- Tu crois au
destin ? Dit le jeune homme brun.
- Que veux-tu dire
Vona ? Dit-elle en s’asseyant sur le lit.
- Et bien, est-ce
tout est déjà écrit, que les dés
son déjà pipés au moment où
on les lances ?
- Si c’est comme
ça que tu le vois, alors non, je ne crois pas au destin. Le futur
est une page blanche à écrire, répondit sa mère avec un léger
tremblement de voix.
- Encore faut-il
qu’on nous les donne ces pages blanches à écrire, murmura-t-il
dans sa barbe sans que sa mère entende. Et si tu ne crois pas au
destin, reprit-il à voix haute, comment juges-tu ce qui m’arrive à
papa et à moi ?
- Comme une
injustice de la vie, dit la mère en se tournant vers la pluie
battante qui venait cogner le carreau. Elle agit comme un tyran qui
n’en fait qu’a sa tête. Elle offre, elle reprend ; elle
juge sans procès, condamne selon ses propres lois. Elle est ce fou
qui tire au hasard dans la foule, continua-t-elle en battant ses mots
avec la pointe de sa langue rageuse.
- Ne lui en veut pas
trop Maman, dit le jeune homme doucement. Elle a besoin de la mort
pour continuer à vivre. C’est sa nourriture, son pain quotidien.
- Pourquoi dit tu
ça ?
- Crois-tu que pour
respirer nous n’avons pas besoin de la mort ?
- Ne dis pas de
sottises, Vona…
- Que fais-tu des
animaux que l’on mange, des arbres que l’on coupe ? La mort
est partout dans nos assiettes, dans nos cheminées. Si mon cœur
fragile, venait à lâcher, ma mort ne serait que le commencement
d’un autre type de vie qui n’est pas moins importante : la
vie est un cycle indivisible : l’asticot mange l’homme,
l’oiseau mange l’asticot, le chat mange l’oiseau ; le chat
meurt et son corps nourrit la terre ; l’herbe, tout juste
éclot, est dévorée par le bœuf… Et je te laisse deviner qui
mange le bœuf…
- Oui, j’ai
compris… Dit
la mère en respirant profondément.
- C’est la règle
du jeu Maman.
- On croirait
entendre ton père… C’est
ce qu’il ne cessait de répéter hier soir : C’est la règle
du jeu, c’est la règle du jeu…
- Oui c’est la
règle du jeu : la mort tisse l’existence des vivants, la fin
de l’un, sonne le début de l’autre et on ne peut rien y faire.
On peut tout juste espérer que notre encre rempliera les pages d’un
bel et volumineux livre, dit le jeune homme avec un léger sourire.
La jeune femme ferma
les yeux, gravant sur sa rétine la beauté du visage de son fils,
une beauté fragile tenu par un cœur malade.
- Vona… j’entends
ce que tu me dis mais, n’oublie pas ce que ton prénom signifie,
dit-elle doucement en caressant les longs cheveux ébènes
de son fils.
- Oui, espoir…
en
islandais.
- Vie ou mort, règle
du jeu ou non, tu es pour nous un espoir qui un jour, s’est mit à
rêver…
- Rassures-toi
maman, mes mots n’empêchent pas que milles feux continuent de
danser dans mes veines…Vona eut à peine finit sa phrase qu’un
médecin rentra en trombe dans la chambre.
- Nous avons un
cœur ! Dit-il avec un grand sourire et une voix haletante.
Vona et sa mère
revêtirent des masques de statues pendant un instant puis se prirent
dans les bras.
- Nous allons
l’opérer immédiatement Lucie, dit le médecin à la mère tout
vérifiant avec attention les derniers relevés du jeune homme.
- Bien bien, souffla
la mère de Vona en lâchant son fils après un dernier baiser. Lucie
tourna sur elle-même, le regard perdu puis se reprit en se secouant
la tête. Je vais appeler mon mari dit-elle en se précipitant vers
son sac à main…
Pendant ce temps-là
deux infirmiers vinrent chercher le jeune homme. Une poignée de
secondes plus tard, Vona disparaissait dans les couloirs blafards de
l’hôpital. N’ayant pu joindre son mari, Lucie se précipita à
la suite des infirmiers. Elle suivit le cortège médical dans le
labyrinthe des ascenseurs, des étages, des différents services ;
elle ne regarda pas les innombrables pancartes qui s’affichaient un
peu partout sur les murs mais espéraient qu’au bout des flèches
se trouvent inscrit l’aube d’une nouvelle vie pour son fils.
Lucie vit disparaître son fils dans une salle ou on lui indiqua de
rester à l’extérieur. Quelques minutes plus tard, le médecin
vint à sa rencontre tout enfilant ses gants de chirurgiens.
- Lucie, le donneur
est parfait : même groupe sanguin, non fumeur etc… Il s’est
tiré une balle dans la tête et avait accroché sa carte de donneur
sur sa chemise. Le médecin n’eut pas le temps d’aligner le
moindre mot supplémentaire, qu’un infirmer vint lui remettre un
dossier. Il l’ouvrit et son regard sourcilla.
- Vous vous trompez
de dossier jeune homme, dit-il à l’infirmier qui s’en allait
déjà. Vous m’avez remis
celui du père, poursuivi le médecin en tendant le dossier au
soignant qui le regarda d’un air interrogateur. Oui, reprit le
médecin, nous allons opérer Vona Frida et vous m’avez donné le
dossier de M. Louis Frida, son père ; Ne vous en faites pas,
c’est une erreur bien pardonnable, continua le médecin d’un ton
conciliant. Son père est soigné chez nous pour des séances de
chimiothérapie. Le jeune infirmier
fronça les sourcils et fixa tour à tour, Lucie Frida et le médecin.
- Je viens de vous
remettre, non pas le dossier du patient, mais celui du donneur,
dit-il sans trop comprendre.
Le médecin blêmit
et Lucie s’écroula.
Vona fut opéré
avec succès et Lucie rentra dans la maison vide trois jours plus
tard. En s’allongeant en pleurs sur le lit conjugal, elle découvrit
une lettre de son mari sous l’oreiller :
La vie avait
dicté son jeu et mon cœur lui a répondu en changeant de je.